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« Venez sans remords, Nains aux pieds de chèvre, Goules, dont la lèvre Jamais ne se sèvre
Du sang noir des morts ! Femmes infernales, Accourez rivales ! Pressez vos cavales
Qui n'ont point de mors ! »
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales, Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.
« Juifs, par Dieu frappés, Zingaris, bohèmes, Chargés d'anathèmes, Follets, spectres blêmes La nuit échappés, Glissez sur la brise, Montez sur la frise
Du mur qui se brise,
Volez, ou rampez ! »
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales, Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.
« Venez, boucs méchants, Psylles aux corps grêles, Aspioles frêles,
Comme un flot de grêles, Fondre dans ces champs ! Plus de discordance ! Venez en cadence
Élargir la danse, Répéter les chants ! »
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales, Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.
Les clercs en magie Brûlent dans l'orgie Leur barbe rougie
D'un sang tout fumant ; Que chacun envoie
Au feu quelque proie, Et sous ses dents broie Un pâle ossement ! »
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales, Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.
« Riant au saint lieu, D'une voix hardie, Satan parodie Quelque psalmodie Selon saint Matthieu ; Et dans la chapelle Où son roi l'appelle, Un démon épelle
Le livre de Dieu ! »
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales, Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.
« Sorti des tombeaux, Que dans chaque stalle Un faux moine étale La robe fatale
Qui brûle ses os,
Et qu'un noir lévite Attache bien vite La flamme maudite
Aux sacrés flambeaux ! »
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales, Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.
« Satan vous verra !
De vos mains grossières, Parmi des poussières, Écrivez, sorcières : ABRACADABRA !
Volez, oiseaux fauves,
Dont les ailes chauves Aux ciels des alcôves Suspendent Smarra ! »
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales, Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.
« Voici le signal ! – L'enfer nous réclame ; Puisse un jour toute âme N'avoir d'autre flamme Que son noir fanal ! Puisse notre ronde, Dans l'ombre profonde, Enfermer le monde D'un cercle infernal ! »
L'aube pâle a blanchi les arches colossales.
Il fuit, l'essaim confus des démons dispersés ! Et les morts, rendormis sous le pavé des salles,
Sur leurs chevets poudreux posent leurs fronts glacés.
Victor Hugo:
Odes et ballades octobre
1825
Un jour je vis, debout au bord des flots mouvants, Passer, gonflant ses voiles,
Un rapide navire enveloppé de vents, De vagues et d'étoiles ;
Et j'entendis, penché sur l'abîme des cieux, Que l'autre abîme touche,
Me parler à l'oreille une voix dont mes yeux
Ne voyaient pas la bouche :
« Poète, tu fais bien ! Poète au triste front, Tu rêves près des ondes,
Et tu tires des mers bien des choses qui sont
Sous les vagues profondes !
La mer, c'est le Seigneur, que, misère ou bonheur, Tout destin montre et nomme ;
Le vent, c'est le Seigneur ; l'astre, c'est le Seigneur ;
Le navire, c'est l'homme. »