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Je dois me comporter en franc neveu de roi. Quand j'ai mon ennemi désarmé devant moi,
Je m'arrête. Va donc chercher une autre épée, Et tâche, cette fois, qu'elle soit bien trempée. Tu feras apporter à boire en même temps, Car j'ai soif.
- Fils, merci, dit Olivier.
- J'attends, Dit Roland, hâte-toi.
Sire Olivier appelle Un batelier caché derrière une chapelle.
- Cours à la ville, et dis à mon père qu'il faut Une autre épée à l'un de nous, et qu'il fait chaud. Cependant les héros, assis dans les broussailles, S'aident à délacer leurs capuchons de mailles,
Se lavent le visage, et causent un moment. Le batelier revient, il a fait promptement ;
L'homme a vu le vieux comte ; il rapporte une épée Et du vin, de ce vin qu'aimait le grand Pompée
Et que Tournon récolte au flanc de son vieux mont. L'épée est cette illustre et fière Closamont,
Que d'autres quelquefois appellent Haute-Claire. L'homme a fui. Les héros achèvent sans colère
Ce qu'ils disaient, le ciel rayonne au-dessus d'eux ; Olivier verse à boire à Roland ; puis tous deux Marchent droit l'un vers l'autre, et le duel recommence. Voilà que par degrés de sa sombre démence
Le combat les enivre, il leur revient au coeur
Ce je ne sais quel dieu qui veut qu'on soit vainqueur, Et qui, s'exaspérant aux armures frappées,
Mêle l'éclair des yeux aux lueurs des épées.
Ils combattent, versant à flots leur sang vermeil. Le jour entier se passe ainsi. Mais le soleil Baisse vers l'horizon. La nuit vient.
- Camarade,
Dit Roland, je ne sais, mais je me sens malade. Je ne me soutiens plus, et je voudrais un peu De repos.
- Je prétends, avec l'aide de Dieu, Dit le bel Olivier, le sourire à la lèvre,
Vous vaincre par l'épée et non point par la fièvre. Dormez sur l'herbe verte ; et, cette nuit, Roland, Je vous éventerai de mon panache blanc. Couchez-vous et dormez.
- Vassal, ton âme est neuve,
Dit Roland. Je riais, je faisais une épreuve. Sans m'arrêter et sans me reposer, je puis Combattre quatre jours encore, et quatre nuits.
Le duel reprend. La mort plane, le sang ruisselle. Durandal heurte et suit Closamont ; l'étincelle Jaillit de toutes parts sous leurs coups répétés. L'ombre autour d'eux s'emplit de sinistres clartés.
Ils frappent ; le brouillard du fleuve monte et fume ;
Le voyageur s'effraie et croit voir dans la brume D'étranges bûcherons qui travaillent la nuit.
Le jour naît, le combat continue à grand bruit ;
La pâle nuit revient, ils combattent ; l'aurore Reparaît dans les cieux, ils combattent encore. Nul repos. Seulement, vers le troisième soir, Sous un arbre, en causant, ils sont allés s'asseoir ; Puis ont recommencé.
Le vieux Gérard dans Vienne
Attend depuis trois jours que son enfant revienne. Il envoie un devin regarder sur les tours ;
Le devin dit : Seigneur, ils combattent toujours. Quatre jours sont passés, et l'île et le rivage Tremblent sous ce fracas monstrueux et sauvage. Ils vont, viennent, jamais fuyant, jamais lassés, Froissent le glaive au glaive et sautent les fossés, Et passent, au milieu des ronces remuées, Comme deux tourbillons et comme deux nuées. Ô chocs affreux ! terreur ! tumulte étincelant! Mais enfin Olivier saisit au corps Roland,
Qui de son propre sang en combattant s'abreuve,
Et jette d'un revers Durandal dans le fleuve.
- C'est mon tour maintenant, et je vais envoyer Chercher un autre estoc pour vous, dit Olivier. Le sabre du géant Sinnagog est à Vienne.
C'est, après Durandal, le seul qui vous convienne.
Mon père le lui prit alors qu'il le défit. Acceptez-le.
Roland sourit. - Il me suffit De ce bâton. - Il dit, et déracine un chêne. Sire Olivier arrache un orme dans la plaine Et jette son épée, et Roland, plein d'ennui,
L'attaque. Il n'aimait pas qu'on vînt faire après lui Les générosités qu'il avait déjà faites.
Plus d'épée en leurs mains, plus de casque à leurs têtes.
Ils luttent maintenant, sourds, effarés, béants,
A grands coups de troncs d'arbre, ainsi que des géants. Pour la cinquième fois, voici que la nuit tombe.
Tout à coup Olivier, aigle aux yeux de colombe, S'arrête et dit :
- Roland, nous n'en finirons point. Tant qu'il nous restera quelque tronçon au poing, Nous lutterons ainsi que lions et panthères.
Ne vaudrait-il pas mieux que nous devinssions frères ?
Écoute, j'ai ma sœur, la belle Aude au bras blanc, Épouse-la.
Pardieu ! je veux bien, dit Roland. Et maintenant buvons, car l'affaire était chaude. - C'est ainsi que Roland épousa la belle Aude.
Victor Hugo:
La légende des siècles
L’enfant
L'enfant, voyant l'aïeule à filer occupée,
Veut faire une quenouille à sa grande poupée. L'aïeule s'assoupit un peu; c'est le moment. L'enfant vient par derrière et tire doucement Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie, Puis s'enfuit triomphante, emportant avec joie La belle laine d'or que le safran jaunit,
Autant qu'en pourrait prendre un oiseau pour son nid.
Victor Hugo:
Les Contemplations Cauterez
août 1843
À M. Charles Nodier
Voyez devant les murs de ce noir monastère La lune se voiler, comme pour un mystère ! L'esprit de minuit passe, et, répandant l'effroi, Douze fois se balance au battant du beffroi.
Le bruit ébranle l'air, roule, et longtemps encore
Gronde, comme enfermé sous la cloche sonore. Le silence retombe avec l'ombre... Écoutez ! Qui pousse ces clameurs ? qui jette ces clartés ? Dieu ! les voûtes, les tours, les portes découpées, D'un long réseau de feu semblent enveloppées,
Et l'on entend l'eau sainte, où trempe un buis bénit, Bouillonner à grands flots dans l'urne de granit !
À nos patrons du ciel recommandons nos âmes ! Parmi les rayons bleus, parmi les rouges flammes, Avec des cris, des chants, des soupirs, des abois, Voilà que de partout, des eaux, des monts, des bois, Les larves, les dragons, les vampires, les gnomes, Des monstres dont l'enfer rêve seul les fantômes, La sorcière, échappée aux sépulcres déserts,
Volant sur le bouleau qui siffle dans les airs, Les nécromants, parés de tiares mystiques
Où brillent flamboyants les mots cabalistiques, Et les graves démons, et les lutins rusés,
Tous, par les toits rompus, par les portails brisés, Par les vitraux détruits que mille éclairs sillonnent,
Entrent dans le vieux cloître où leurs flots tourbillonnent. Debout au milieu d'eux, leur prince Lucifer
Cache un front de taureau sous la mitre de fer ; La chasuble a voilé son aile diaphane,
Et sur l'autel croulant il pose un pied profane. Ô terreur ! Les voilà qui chantent dans ce lieu Où veille incessamment l'œil éternel de Dieu.
Les mains cherchent les mains... Soudain la ronde immense,
Comme un ouragan sombre, en tournoyant commence. À l'œil qui n'en pourrait embrasser le contour,
Chaque hideux convive apparaît à son tour ; On croirait voir l'enfer tourner dans les ténèbres Son zodiaque affreux, plein de signes funèbres. Tous volent, dans le cercle emportés à la fois. Satan règle du pied les éclats de leur voix ;
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales,
Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.
« Mêlons-nous sans choix ! Tandis que la foule Autour de lui roule,
Satan, joyeux, foule L'autel et la croix. L'heure est solennelle. La flamme éternelle Semble, sur son aile, La pourpre des rois ! »
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales, Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.
« Oui, nous triomphons ! Venez, sœurs et frères,
De cent points contraires ; Des lieux funéraires,
Des antres profonds.
L'enfer vous escorte ; Venez en cohorte
Sur des chars qu'emporte Le vol des griffons ! »
Et leurs pas, ébranlant les arches colossales, Troublent les morts couchés sous le pavé des salles.